Grâce à une histoire puissante, Phyllis Webstad fait part du changement qui est possible
Phyllis Webstad, femme autochtone, auteure, activiste et fondatrice de la Journée du chandail orange, nous fait part du changement qui est possible en racontant une histoire bouleversante
À l’âge de 6 ans, comme la majorité des Autochtones du Canada de sa génération (et de plusieurs autres générations), Phyllis Webstad a été forcée de quitter la maison familiale (elle vivait avec sa grand-mère dans la Nation Secwepemc) pour s’inscrire dans le régime des pensionnats autochtones, qui, essentiellement, visait à rééduquer les enfants autochtones pour qu’ils s’assimilent à la société dominante et apprennent à dévaloriser leurs cultures.
Avant le début de l’année scolaire, la grand-mère de Phyllis l’a amenée en ville pour lui acheter de nouveaux vêtements et Phyllis, qui a prononcé le discours de clôture de la conférence internationale de l’AFP (AFP ICON) de 2024 à Toronto, a choisi un chandail orange vif avec un col et trois boutonnières, dans lesquelles on pouvait enfiler une sorte de lacet de chaussure. « C’était au début des années 1970, l’époque psychédélique et lumineuse », dit-elle. « C’est le souvenir que j’ai de ma joie d’aller enfin à l’école. Je me disais, “Je suis une grande fille!” »
La grand-mère de Phyllis savait malheureusement que la joie de porter ce chandail orange serait de courte durée. Une des premières mesures prises pour « intégrer » les enfants autochtones à leur arrivée à l’établissement St. Joseph’s Mission, près de Williams Lake, en Colombie-Britannique, qui, en 1973, relevait plus de la pension de famille que de l’école proprement dite puisque les enfants y dormaient et y mangeait, mais étaient transportés par autobus dans une école publique, consistait à leur confisquer leurs vêtements et à les remplacer par des vêtements ternes, presque identiques, probablement achetés en vrac.
« Je n’ai aucun souvenir d’avoir porté mes vêtements à nouveau », confie Mme Webstad. « Ils ont probablement obtenu un bon prix en échange. Ils se moquaient complètement de notre apparence. Nous étions en file, comme des prisonniers, avec les bras en l’air. Et ce qu’ils nous donnaient, c’était ce qu’on obtenait. Si c’était trop grand, tant pis. Si c’était trop petit, tant pis. »
Phyllis Webstad a passé un an à la Mission Saint-Joseph, et pendant cette période, elle a vécu le traumatisme psychologique de la dissociation. « Cela m’a vraiment affectée – qui j’étais, comment je me voyais et comment je me traitais – et m’affecte encore aujourd’hui », dit elle. Mais cela ne l’a pas entièrement définie. « J’ai eu une vie avant le pensionnat autochtone, ma vie au pensionnat n’a duré qu’un an et j’ai eu une vie après », explique Mme Webstad.
Une fois adulte, Mme Webstad a obtenu des diplômes en administration des affaires au Nicola Valley Institute of Technology et en comptabilité à l’université Thompson Rivers. Mais son expérience du régime des pensionnats autochtones ainsi que celle de quatre générations de sa famille l’ont poussée à raconter son histoire, oralement et par écrit. La confiscation de son chandail orange s’est révélée être un puissant symbole des torts causés par le régime canadien des pensionnats autochtones.
Moment décisif
La tournée pancanadienne de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR) pour entendre les vérités des survivants et survivantes au début des années 2010, un processus qui a abouti à la publication d’un rapport final en 2015, aujourd’hui hébergé au Centre national pour la vérité et la réconciliation, basé à l’Université du Manitoba, à Winnipeg, a été un point marquant dans la vie de Phyllis Webstad. Lorsque la CVR a visité Williams Lake en 2013, Mme Webstad a comparu en tant que représentante des survivants et a raconté son histoire. « Nous voulions que les Autochtones, bien sûr, mais également les non-Autochtones sachent qu’ils étaient invités à venir entendre les témoignages et les vérités des survivants », dit-elle. « Nous avons donc tenu deux événements médiatiques. »
Pour que le monde change, les gens doivent connaître nos vérités, et la vérité passe avant la réconciliation. C’est généralement mon approche. [TRADUCTION LIBRE]
—Phyllis Webstad
Inspirée par Mme Webstad, une femme dans l’assistance a imprimé des cartes et a créé une page Facebook faisant la promotion de la Journée du chandail orange. Le concept est devenu viral instantanément. « Je ne suis pas simplement levée un matin en me disant que le 30 septembre serait la Journée du chandail orange », explique Mme Webstad. « Il a fallu beaucoup de gens pour m’épauler et plusieurs événements pour que je parvienne à raconter mon histoire. » En plus d’être la Journée du chandail orange, le 30 septembre est aujourd’hui la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation. « Cette nouvelle désignation ne remplace pas la Journée du chandail orange », explique-t-elle. « C’est et ce sera toujours d’abord et avant tout la Journée du chandail orange. »
Mme Webstad et les personnes qu’elle a consultées ont choisi de célébrer la Journée du chandail orange en septembre, car c’est à cette période de l’année que les enfants autochtones étaient arrachés de leur foyer, de leur famille et de leur communauté. Ils ont arrêté leur choix sur la dernière journée du mois pour donner aux enseignants et aux élèves le temps de bien commencer l’année scolaire et de planifier des événements communautaires pour commémorer cette journée. La Journée du chandail orange a également été créée en réponse aux commissaires de la CVR qui, à la conclusion de la CVR en 2015, ont invité les Canadiens et Canadiennes à poursuivre la conversation.
Mme Webstad mentionne qu’au cours de la tournée de la CVR, elle avait également entendu une Aînée dire que septembre était le « mois des pleurs ». « J’ai su à ce moment que nous avions choisi le bon mois et le bon jour pour tenir la Journée du chandail orange », souligne-t-elle. « La dame a dit que c’était le “mois des pleurs” parce que nous, dans les soi-disant écoles, pleurions nos maisons et nos familles, et que nos familles et nos maisons nous pleuraient. »
Phyllis Webstad a depuis publié six livres qui relatent son histoire, dont L’histoire du chandail orange, Le chandail orange de Phyllis et Derrière l’histoire du chandail orange. En 2015, l’Orange Shirt Society a été constituée en société et a survécu entièrement grâce au travail de bénévoles, sans structure physique, jusqu’en 2019, année où le groupe a amassé suffisamment de fonds pour faire de la direction de la société l’occupation à temps plein de Mme Webstad et ouvrir un bureau dans le centre-ville de Williams Lake. La société est désormais hébergée sur des terres autochtones à Williams Lake, à trois minutes du site de la Mission Saint-Joseph.
« Le bâtiment n’est plus là, mais trois générations de ma famille ont fréquenté ce pensionnat autochtone », explique Mme Webstad. (Son fils a fréquenté le pensionnat St. Michael’s, en Saskatchewan, le dernier pensionnat autochtone au Canada qui a fermé ses portes en 1996.) Le livre Derrière l’histoire du chandail orange relate l’histoire des six générations qu’elle a connues, en commençant par son arrière-grand-mère jusqu’à ses deux petits-fils. « Mes livres, qui sont disponibles en anglais et en français, font l’objet d’un programme scolaire », précise-t-elle.
Phyllis Webstad se réjouit du fait que ses petits-enfants sont les premiers, en cinq générations, à être entièrement élevés par leurs parents. « Ma grand-mère, ma mère, moi et mon fils ne l’avons pas été », dit-elle. Elle craint cependant que le fait que les pensionnats fassent désormais partie de l’histoire ne fasse tomber dans l’oubli leurs horreurs, voire pire, une inquiétude qu’elle a exprimée dans son discours aux membres d’AFP Global réunis à Toronto.
« Ce qui est oublié est souvent répété », souligne-t-elle. « Le négationnisme est bien présent au Canada, et probablement aussi aux États-Unis. Il y a encore des gens aujourd’hui qui ont des frères et des sœurs, des tantes et des oncles qui ne sont pas rentrés à la maison [après leur séjour dans un pensionnat autochtone]. C’est un fait. Et nous ne sommes pas des menteurs. Nous n’inventons rien. Nous n’en parlons pas parce que nous n’avons rien de mieux à faire. Qui, sain d’esprit, parlerait de cela s’il n’y était pas obligé? Cela fait partie de notre histoire. Cela fait partie de notre identité. Et c’est douloureux. »
« L’interlocutrice spéciale associée à la CVR a déjà déclaré que le négationnisme est la dernière étape d’un génocide, et je le crois aussi », ajoute Mme Webstad. « C’est pourquoi j’ai demandé aux membres de l’AFP de s’attaquer au négationnisme lorsqu’ils en sont témoins. Parce qu’il y a des gens qui disent que tout cela n’existe pas, que ce n’était pas aussi grave que nous le disons, ou qu’il n’y a pas d’enfants enterrés. Il n’y a pas de tombes. En tant qu’Autochtones, nous avons déjà suffisamment de choses à gérer sans avoir à nous occuper des négationnistes. »
De nombreux Canadiens et Canadiennes d’un certain âge ne sont pas au courant du fonctionnement des pensionnats autochtones puisqu’on n’abordait pas cette question à l’école, selon Mme Webstad. « Pour que le monde change, les gens doivent connaître nos vérités, et la vérité passe avant la réconciliation », dit-elle. « C’est généralement mon approche. »
Mme Webstad estime avoir réussi à sensibiliser les gens qui ont assisté à son discours à l’AFP ICON. « Peu d’Autochtones sont membres de l’AFP ou en connaissent même l’existence », précise-t-elle. « Alors pour que les personnes qui font partie de l’organisation se sentent à l’aise en présence d’une personne autochtone, elles doivent connaître notre histoire. C’est la première étape si l’on veut que les Autochtones adhèrent à votre organisation. »
Mme Webstad ne connaissait pas beaucoup l’AFP jusqu’à tout récemment, mais elle qualifie l’association « d’organisation extraordinaire » et encourage des collègues à songer à y adhérer. « La première étape consiste à établir une relation », soutient-elle. « Dans la culture autochtone, c’est ce que nous faisons : on établit d’abord une relation, on partage un repas et on apprend à se connaître. Après cela, plein de choses deviennent possibles. »
Après son discours, lors d’une séance photo avec une quinzaine de membres de l’AFP, dont seulement un ou deux étaient des Autochtones, Phyllis Webstad dit avoir entendu des réactions « très émouvantes » à son histoire. Cela a renforcé le pouvoir du type de récit que les membres de l’AFP font au quotidien.
« Raconter des histoires, enseigner l’histoire en racontant des histoires, c’est essentiellement ce que je fais », déclare Mme Webstad. « C’est la façon de faire autochtone. Si vous posez une question à une personne autochtone, sa réponse sera probablement sous forme d’histoire. C’est ainsi qu’a été créée la Journée du chandail orange, en racontant l’histoire du chandail qui m’avait été confisqué, l’histoire de ma vie, et la façon dont elle est liée à l’histoire du Canada, avec la Loi sur les Indiens, les pensionnats autochtones, les répercussions de toutes ces lois et tout ce que le gouvernement nous a imposé. De même qu’en parlant de mes expériences à l’échelle locale par rapport à ces politiques et à ces lois au fil des générations. »