Tendances en collecte de fonds : bilan de 2023 et perspectives pour 2024
Lorsque la pandémie a bouleversé nos vies, il y a eu beaucoup d’incertitudes quant à ce qui se passerait lors du « retour à la normale », « retour à la normale » étant un terme relatif, dans la mesure où nous restons humbles face à des événements qui échappent à notre contrôle. Des tendances postpandémie ont toutefois commencé à émerger en 2023 et demeureront pertinentes pour les professionnel.le.s en collecte de fonds en 2024.
Nous avons demandé à des professionnel.le.s en collecte de fonds canadiens chevronnés de nous faire part des tendances qu’ils ont observées en 2023 et de leurs prédictions pour 2024. Vincent Duckworth, CFRE, président du conseil d’administration de la Fondation canadienne pour la philanthropie de l’AFP et président et premier dirigeant de ViTreo Group Inc., nous a livré ses réflexions. Pour sa part, Taslim Somani, MBA, ancienne directrice de la stratégie numérique chez Stephen Thomas Limited, actuellement directrice de GivingStar et membres du conseil d’administration de Myseum, à Toronto, a abordé la question sous l’angle du numérique. Enfin, Daniel H. Lanteigne, ASC, C. Dir., CFRE, CRHA, vice-président, talent, stratégie et impact chez BNP Performance philanthropique et vice-président, adhésion, pour AFP Global, a fait part de son point de vue. La liste qui suit a été établie en fonction de leur vaste analyse de ce qui s’est produit en 2023 et de ce que nous devons, selon eux, surveiller en 2024.
- La confiance, toujours aussi primordiale. « La relation entre les donateurs et les organisations ressemble parfois à celle d’un vieux couple », confie M. Lanteigne. « Il y a incontestablement un grand respect, mais la communication fait défaut à l’occasion. Il faut faire preuve d’authenticité, voire de vulnérabilité, dans nos communications afin de maintenir la confiance ou, dans certains cas, de l’établir. La philanthropie est un domaine de plus en plus sophistiqué, mais il repose toujours sur un aspect central : la confiance. »
- Baisse du nombre de donateur.trice.s. « Le nombre de personnes qui font des dons, le profil des donateurs et donatrices, la manière dont ils font leurs dons, les organismes qu’ils soutiennent, tout cela est en train de changer », constate M. Duckworth. « Des rapports soulignent régulièrement que le nombre total de donateurs est en baisse, et ce, année après année. Ce déclin, qui a commencé avant la pandémie de COVID 19, s’est poursuivi en 2023. Le montant total des dons versés demeure stable, affichant même une légère hausse d’une année à l’autre, mais les donateurs sont moins nombreux. »
- Importance accrue du contenu vidéo pour sensibiliser les donateur.trice.s. « Myseum, à Toronto, où je siège au conseil d’administration, et d’autres organismes à but non lucratif publient des vidéos éducatives, divertissantes et très attrayantes sur TikTok et Instagram », souligne Mme Somani. « Je pense que le contenu vidéo prendra le dessus sur les publications écrites dans le domaine de la collecte de fonds à l’avenir. Les gens n’ont plus la patience de lire. TikTok est le principal moteur de recherche des jeunes de nos jours. Ils veulent voir et agir. »
- Les personnes de la génération Y et de la génération Z constituent aujourd’hui un important groupe démographique qui fait régulièrement des dons en ligne. « Dans une large mesure, explique M. Duckworth, les membres de ces générations ont obtenu ce qu’ils souhaitaient depuis longtemps – pouvoir donner principalement en ligne. ». Un rapport du Blackbaud Institute (en anglais seulement) révèle que les dons en ligne à des organismes de bienfaisance, toutes tailles confondues, ont augmenté de 42 % en trois ans et, notamment, que le nombre de personnes qui font des dons à partir de leur appareil mobile a augmenté de 28 %.
- Les causes que les gens soutiennent changent. « À court terme, on constate une forte évolution des dons en faveur de l’aide internationale, notamment en ce qui concerne les conflits en Ukraine et à Gaza », indique M. Duckworth. « Par ailleurs, les premiers grands changements dans les dons à des domaines longtemps sous-financés, comme l’action climatique, ainsi que dans la philanthropie noire et autochtone portent enfin leurs fruits et attirent des dons plus nombreux et plus importants. » En 2021, la Fondation Walmart s’est engagée à verser 20 millions de dollars sur cinq ans pour favoriser l’équité pour les personnes noires et autochtones du Canada. Elle a fait état de ses progrès (en anglais seulement) en juin dernier. En 2022, Ivey Foundation, la sixième plus ancienne fondation familiale privée au Canada, a décidé de procéder à sa dissolution et de faire don de la totalité des 100 millions de dollars de son fonds de dotation d’ici à la fin de 2027 pour soutenir la lutte contre la crise climatique. En septembre dernier, le Groupe Banque TD s’est engagé à verser 5 millions de dollars sur cinq ans à la campagne Au-delà de la réconciliation de la Fondation des générations à venir.
- Sophistication des technologies de collecte de fonds dans le secteur à but non lucratif. « Les solutions technologiques intégrées (article en anglais) comprenant des logiciels de dons et de gestion des relations-clients, le tout accompagné d’outils autonomes d’automatisation du marketing, des analyses et de la création de contenu, entre autres, sont plus répandues et plus sophistiquées que jamais dans le secteur », soutient Mme Somani. « Et il y a tout lieu de s’attendre à ce que le niveau de compétences et d’expertise augmente. » Le Nonprofit Hub, un centre américain de formation et de ressources, a publié un article (en anglais seulement) sur les raisons pour lesquelles les organismes à but non lucratif devraient intégrer la collecte de fonds et le marketing. On peut lire dans cet article que « l’intégration du marketing et de la collecte de fonds permet de garantir une bonne fréquence de communication avec les sympathisant.e.s et de diffuser des messages cohérents sur l’ensemble des canaux. C’est la clé pour fidéliser les donateur.trice.s et les sympathisant.e.s à long terme » [TRADUCTION LIBRE].
- Le recrutement de personnel de collecte de fonds reste difficile. « Il était difficile d’embaucher des collecteurs et collectrices de fonds avant la COVID, et ce l’est encore aujourd’hui », indique M. Duckworth. « Le monde a changé… certaines personnes ont quitté le secteur, d’autres veulent faire du télétravail, et les attentes ont beaucoup changé par rapport à ce qu’elles étaient avant la pandémie. On reçoit régulièrement des appels d’organismes à but non lucratif qui tentent de recruter des collecteurs de fonds depuis près d’un an – 30 % de nos activités consistent désormais à affecter des collecteurs et collectrices de fonds intérimaires auprès d’organisations jusqu’à ce qu’elles réussissent à embaucher du personnel à temps plein. Avant la pandémie de COVID, ce genre de travail représentait moins de 5 % de nos activités. »
- Les tableaux de bord sur les donateur.trice.s – essentiels pour la croissance. « Il est indispensable de pouvoir évaluer rapidement les données sur les personnes qui font des dons pour assurer la croissance », soutient Mme Somani. « La transmission des données pertinentes aux gestionnaires appropriés pour qu’ils puissent comprendre les tendances en matière de dons, la portée numérique et le degré d’engagement est primordiale dans le processus décisionnel. Des outils tels que Google Looker Studio de Google, qui regroupent des données de diverses sources, donnent aussi aux cadres un accès à des indicateurs de rendement clé à des fins de planification, de production de rapports et de responsabilisation. Des tableaux de bord faciles d’accès sont désormais indispensables. »
- Rêver et faire preuve d’ambition et d’audace. « Vous avez peut-être, comme moi, lu récemment des articles sur des organismes de bienfaisance qui annoncent une interruption imminente des services ou la disparition potentielle d’un programme en raison d’un manque de financement », mentionne M. Lanteigne. « Rêver et faire preuve d’ambition et d’audace, c’est comme vous demander d’éteindre un feu tout en planifiant la reconstruction. Pour certaines personnes, cela peut sembler irréaliste, voire irrespectueux. Or, nous devons essayer par tous les moyens de cesser de nous concentrer uniquement sur les feux à éteindre – notre société a cruellement besoin de projets ambitieux et inspirants pour les générations actuelles et futures. La philanthropie doit être suffisamment agile pour répondre aux besoins urgents tout en rêvant d’un avenir meilleur. »
- L’impact de l’IA et l’éthique de l’IA dans les communications des organismes à but non lucratif. « À bien des égards, c’est la question de l’heure et compte tenu de la diversité de nos publics, qui vont des communautés vulnérables aux personnes qui font des dons majeurs, nous devons bien faire les choses », dit Mme Somani. « Le secteur réfléchit encore à la manière d’intégrer de manière éthique l’intelligence artificielle à ses activités », fait remarquer M. Lanteigne. « Le temps presse pour les organisations qui n’ont pas encore soumis cette question à leur conseil d’administration », ajoute-t-il. « L’année 2023 restera à jamais l’année où l’intelligence artificielle est devenue une chose courante, non plus une technologie du futur », mentionne M. Duckworth. « À pareille date l’an prochain, peut-être même avant, il y aura des modèles de robot de type ChatGPT conçus spécifiquement pour héberger l’ensemble des données de certains des plus grands organismes de bienfaisance du Canada, ce que certaines personnes considéreront comme un scénario apocalyptique et d’autres, comme un changement tout aussi important que l’avènement de l’ordinateur personnel. »
Il est toujours difficile de prédire l’avenir, mais l’étude des tendances passées nous aide à planifier ce qui pourrait arriver. Quoi qu’il en soit, les professionnel.le.s en collecte de fonds ont une perspective unique sur le monde et sur la façon dont on pourrait l’améliorer.