Leadership : Temps de faire le point?
AFP Canada présente, dans le cadre du bulletin L’AFP au quotidien, une série de trois articles sur le leadership dans le secteur de la bienfaisance écrits par Gail Picco. Aujourd’hui, nous vous présentons la première partie, Leadership : Temps de faire le point?, dans laquelle Gail s’entretient avec Roger Ali, MBA, directeur agréé, CFRE, Kimberley Blease et Diane Lloyd, des leaders établis du secteur, ainsi qu’avec Teresa Cheng, CFRE, une jeune leader, pour connaître leur point de vue.
« Les dirigeants et dirigeantes ainsi que les gestionnaires jouent un rôle déterminant dans l’expérience du personnel au travail », déclare Pa M. K. Singh, associé directeur chez Gallup, lors d’un webinaire consacré à la présentation du rapport State of the Global Workplace (L’état du milieu de travail dans le monde), la plus grande étude permanente au monde sur l’expérience des employé.e.s.
Jon Clifton, directeur général de la firme Gallup, ne mâche pas ses mots : « Une mauvaise gestion fait perdre des clients et des profits, mais elle se traduit aussi à des vies misérables. L’étude de Gallup sur le bien-être au travail révèle qu’avoir un emploi que l’on déteste est pire que d’être au chômage – les émotions négatives générées au travail se transportent à la maison et ont des effets néfastes sur les relations avec les membres de la famille. Si vous êtes malheureux au travail, il est peu probable que vous soyez heureux dans la vie », souligne-t-il dans l’introduction du rapport.
Les États-Unis et le Canada sont les endroits dans le monde où le plus grand nombre de gens éprouvent du stress et de la colère au travail.
- 52 % des personnes qui travaillent au Canada et aux États-Unis ont répondu « oui » à une question leur demandant si elles avaient ressenti du stress sur leur lieu de travail la veille du sondage.
- 18 % ont déclaré avoir ressenti de la colère.
- 52 % des personnes sondées ont affirmé ne pas être motivées – on les appelle les démissionnaires silencieux, c’est-à-dire des personnes qui répondent aux exigences minimales de leur emploi sans en faire plus.
- 47 % des gens sont à l’affût ou activement à la recherche d’un nouvel emploi.
Kimberley Blease, vice-présidente à la direction chargée des solutions stratégiques et du conseil chez Blakely Fundraising, a œuvré pendant 11 ans dans le domaine du marketing inter-entreprises et a découvert le secteur de la bienfaisance grâce au travail philanthropique de son employeur. À son arrivée dans le milieu sans but lucratif, elle a travaillé pour Jeunesse, J’écoute et pour la Fondation de l’hôpital St. Michael. Depuis 22 ans, elle occupe un poste de direction chez Blakely Fundraising, qui compte une quarantaine de clients en Amérique du Nord.
Il y a peu de données réelles sur le manque de leadership dans le secteur de la bienfaisance, de dire Mme Blease. « En tant qu’agence, cependant, nous constatons la variété des cultures en milieu de travail. Dans leur travail quotidien avec les clients, nos équipes se font souvent l’écho des personnes qui sont touchées, parfois de façon négative, par la culture au sein de l’organisation », affirme-t-elle. « Les gens nous racontent ce qu’ils vivent et, en ce moment, environ la moitié de nos clients sont en recrutement pour pourvoir des postes vacants. L’un d’entre eux a déclaré s’attendre à ce qu’il faille de huit à dix mois pour pourvoir un poste. »
Diane Lloyd est la fondatrice et la directrice générale d’Inspired Results Group, une entreprise spécialisée dans la création de milieux de travail attrayants et dans les partenariats avec des leaders de tous les secteurs pour leur permettre d’exploiter leur potentiel et celui des personnes qui les entourent.
« Il y a 12 ans, j’occupais un poste de direction au musée royal de la Colombie-Britannique et j’ai rencontré un coach qui m’a aidée à établir mon style de leadership, ce qui m’a vraiment aidée à trouver mes marques », explique-t-elle. « Avant cela, je gérais à l’instinct, sans aucune formation professionnelle sur les compétences en matière de gestion et de leadership. Je me sentais souvent seule et isolée. »
Mme Lloyd raconte qu’apprendre à devenir une meilleure dirigeante a été une expérience tellement révélatrice qu’elle a changé le cours de sa vie professionnelle. Elle a étudié pour devenir coach en leadership et apprendre à créer des cultures d’entreprise positives, ce qui l’a finalement amenée à fonder sa propre entreprise pour aider des dirigeant.e.s à mettre en place une culture organisationnelle positive.
« J’ai retenu la leçon », dit-elle. « Il faut apprendre les choses pour pouvoir les mettre en pratique. Aujourd’hui, en tant que dirigeante dans le domaine du coaching, j’investis en moi continuellement, ce qui n’était pas le cas lorsque j’œuvrais en collecte de fonds. »
Roger Ali, MBA, directeur agréé, CFRE, est un stratège et un consultant en dons majeurs qui, au cours de sa remarquable carrière, a amassé des centaines de millions de dollars pour diverses causes. Il a été président et directeur général de la Niagara Health Foundation, vice-président du développement de la Health Sciences Foundation et directeur général de la Bishop Strathan School Foundation. Il occupe actuellement le poste de président désigné d’AFP Global.
« Depuis la pandémie de COVID 19, les dirigeantes et les dirigeants ont dû changer leur style de leadership », affirme-t-il. « Ils doivent faire preuve de plus de flexibilité. L’attitude des membres du personnel à l’égard de ce qui constitue un travail utile et de ce qu’ils sont prêts à tolérer a changé. Les dirigeantes et les dirigeants ne doivent donc pas s’en tenir aux seules politiques de ressources humaines; ils doivent écouter plus attentivement et se montrer plus conciliants que par le passé s’ils veulent garder leurs employé.e.s. »
« Au cours des cinq à sept dernières années, j’ai travaillé dans des secteurs autres que le secteur sans but lucratif et les deux principaux thèmes qui émergent en tant que problèmes de gestion sont l’absence d’apprentissage et la présence de l’épuisement professionnel », ajoute Diane Lloyd.
Dans son dernier ouvrage intitulé The Burnout Epidemic: The Rise of Chronic Stress and How We Can Fix It, publié par Harvard Business Review Press, Jennifer Moss, influenceuse de la culture organisationnelle, écrit que bien que le concept d’épuisement professionnel ait vu le jour dans les années 1970, la communauté médicale a longtemps débattu sur sa définition.
En 2019, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a inclus l’épuisement professionnel dans sa Classification internationale des maladies, le décrivant comme « un syndrome conceptualisé résultant d’un stress chronique au travail qui n’a pas été géré avec succès ». Selon l’OMS, l’épuisement professionnel se caractérise par trois dimensions :
- Des sentiments d’épuisement et de fatigue;
- Une distance mentale accrue par rapport à son travail, ou des sentiments de négativisme ou de cynisme liés à son travail;
- Un sentiment d’inefficacité et de manque d’accomplissement.
Jennifer Moss écrit que la définition de l’OMS est importante, car elle reconnaît que l’épuisement professionnel est plus qu’un simple problème concernant un.e. employé.e; c’est un problème organisationnel qui nécessite une solution organisationnelle.
« L’épuisement professionnel a un coût financier pour les organisations – il occasionne des dépenses de recrutement et d’embauche. Il y a aussi une perte de sagesse organisationnelle et le changement de personnel fait en sorte que les relations avec les donateurs sont plus difficiles à maintenir. Il ne faut pas non plus oublier le coût humain, à la fois mental et physique », explique Diane Lloyd. « Les gens ont souvent l’impression que quelque chose ne va pas chez eux. Même si le problème est systémique, ils se demandent ce qui ne va pas chez eux au point de ne pas pouvoir faire le travail. C’est extrêmement préjudiciable à l’identité et au bien-être de la personne. »
Teresa Cheng, CFRE, est une dirigeante de la prochaine génération. Elle appartient au groupe démographique appelé à combler le déficit en ce qui concerne le leadership actuel. Après une enfance et une jeunesse axées sur le bénévolat, Teresa est devenue coordinatrice des bénévoles pour un centre communautaire. Elle a suivi le programme de collecte de fonds et de gestion des bénévoles au Collège Humber de Toronto, a fait son stage à Chicago et a travaillé au Royaume-Uni. À son retour au Canada, elle a obtenu une bourse de l’AFP en inclusion et philanthropie. Elle est actuellement responsable du développement, du fonds annuel et de la fidélisation à Seneca Polytechnic, et une bénévole active pour l’AFP.
« Le déficit en matière de leadership au sein du secteur de la bienfaisance est en effet un sujet des plus préoccupants », dit-elle. « Des leaders chevronnés prennent leur retraite ou quittent leurs fonctions, laissant derrière eux d’importants postes vacants qui doivent être pourvus par de nouvelles personnes compétentes. Soulignons que ce déficit n’est pas dû à un manque de postes de direction, mais bien à un manque de leaders qualifiés. La “grande démission” découle de la prise de conscience des lacunes en matière de soutien de la gestion et d’une réticence à voir son évolution personnelle et professionnelle stagner. Des facteurs tels que l’épuisement professionnel et les lourdes charges de travail incitent de nombreuses personnes à réévaluer leur parcours de carrière. »
Roger Ali estime que des aspects raciaux sont en jeu. « Depuis le meurtre de George Floyd et d’autres personnes noires, les dirigeantes et les dirigeants qui ont compris la nécessité d’être plus inclusifs sont ouverts aux formations sur la lutte contre les préjugés et écoutent davantage les personnes noires et de couleurs. Mais ça ne suffit pas », affirme-t-il. « Nous devons chercher la vérité et la réconciliation. À l’heure actuelle, les leaders autochtones, noirs et de couleur y travaillent, et quelques organisations dirigées par des personnes blanches s’y emploient, mais il reste encore beaucoup à faire dans tous les domaines. »
« L’apprentissage n’est pas intégré à la culture de la plupart des organismes de bienfaisance, et on en constate les conséquences sous la forme d’un manque de compétences en leadership », souligne Diane Lloyd. « Je travaille dans d’autres secteurs, comme l’éducation, où l’apprentissage fait partie intégrante de la structure des organisations. Or, nous ne semblons pas trouver important d’investir dans la formation au leadership. J’avais 42 ans, j’occupais un poste de direction depuis 20 ans et on ne m’a pas proposé de formation au leadership pendant tout ce temps. »
« Selon moi, personne n’est un “leader né” », déclare Kimberley Blease. « Les compétences en leadership peuvent s’apprendre et doivent être apprises par quiconque occupe un poste de direction ou aspire à un tel poste. Et la mentalité de pénurie de ressources qui prévaut dans les organismes de bienfaisance et qui empêche d’investir dans le personnel n’est tout simplement pas viable. Les organismes de bienfaisance ne peuvent se soustraire à l’essentiel de ce que l’on attend d’un employeur sous prétexte qu’ils sont des organisations caritatives. Les gens des nouvelles générations qui entament leur carrière dans la profession n’accepteront pas cette attitude ».
Le prochain article de la série sur le leadership, intitulé Leadership : Que signifie avoir un style de leadership différent? sera publié le 25 octobre.