Un projet de loi pourrait susciter des partenariats plus efficaces
Le 9 février 2021, la sénatrice Ratna Omidvar, coprésidente du Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance de 2018‑2019, a déposé au Sénat le projet de loi S‑222, Loi sur l’efficacité et la responsabilité des organismes de bienfaisance. S’il est adopté par le Sénat et la Chambre des communes et promulgué en tant que loi, le projet de loi modifiera le libellé de la Loi de l’impôt sur le revenu qui oblige actuellement les organismes de bienfaisance enregistrés à dépenser les dons de bienfaisance pour leurs propres activités.
« Les organismes de bienfaisance peuvent, bien évidemment, faire des dons ou verser des subventions à d’autres organismes de bienfaisance, mais, autrement, le libellé actuel de la Loi [de l’impôt sur le revenu] les empêche de consacrer leurs ressources à des activités qu’elles ne mènent pas elles-mêmes », souligne la sénatrice Omidvar.
L’Agence du revenu du Canada (ARC) précise que lorsque les organismes de bienfaisance versent des dons de bienfaisance exemptés d’impôt à d’autres types d’organismes, ils doivent maintenir « la direction et le contrôle » de tout le travail qu’ils effectuent ensemble afin que les activités menées par l’organisme non caritatif soient considérées théoriquement comme des activités de l’organisme de bienfaisance.
« Il y a eu au fil des ans des efforts de réforme des lois et règlements qui régissent le secteur de la bienfaisance », indique Juniper Locilento, MPNL, CFRE, présidente du Comité des relations gouvernementales d’AFP Canada. « Le Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance, s’appuyant sur 150 consultations menées dans l’ensemble du secteur et sur les 90 mémoires qui lui ont été présentés, a formulé 42 recommandations, dont une portant sur « la direction et le contrôle », qui est maintenant au cœur de la Loi sur l’efficacité et la responsabilité des organismes de bienfaisance. »
Parmi les 42 recommandations issues du rapport Catalyseur du changement : une feuille de route pour un secteur de la bienfaisance plus robuste, publié en 2019 par le comité, c’est celle qui semble avoir le plus d’élan pour se concrétiser. La question de la direction et du contrôle est d’ailleurs la première mesure de suivi du premier rapport du Comité consultatif sur le secteur de la bienfaisance (CCSB) de l’ARC qui a été publié récemment.
Le 11 février 2021, Kris Archie, la directrice générale de l’organisme Circle on Philanthropy and Aboriginal Peoples in Canada (Le Cercle), et la sénatrice Omidvar ont co-signé une lettre d’opinion dans iPolitics dans laquelle elles disaient ceci : [traduction libre] « Nous espérons que les parlementaires et les Canadiens appuieront ce changement. Il permettra de se débarrasser de vieilles lois qui perpétuent le racisme systémique et de créer des partenariats plus efficaces, libérant ainsi des ressources pour des causes importantes et des communautés en quête d’équité. »
Le projet de loi témoigne des sentiments de bien des personnes qui œuvrent dans le secteur de la bienfaisance, qui subit les conséquences économiques de la pandémie de COVID‑19 et qui cherche à comprendre comment remédier aux inégalités sociales et raciales croissantes dans notre pays et au sein du secteur lui-même.
Un récent rapport intitulé Non financé : Les communautés noires, les oubliées de la philanthropie canadienne révèle que les organismes dirigés par des Noirs et les organismes qui servent des communautés noires reçoivent très peu de financement de la part des fondations publiques et privées.
« Le secteur caritatif (…) appuie sans réserve cette recommandation », a déclaré la sénatrice Omidvar à ses collègues du Sénat à la deuxième lecture du projet de loi. « Ce sont notamment Imagine Canada, la plus grande organisation sectorielle d’organismes de bienfaisance du Canada; Coopération Canada, l’organisme-cadre, au Canada, qui regroupe les organismes de bienfaisance engagés dans le développement international; le Canadian Centre for Christian Charities; Centraide Canada, ainsi que 37 des meilleurs avocats spécialisés dans le secteur caritatif au Canada. Ces derniers ont demandé le mois dernier un changement à cette loi dans une lettre ouverte. Pas plus tard que la semaine dernière, le Comité consultatif sur le secteur de la bienfaisance pour le ministère du Revenu national a déposé son propre rapport, qui souligne lui aussi l’urgence de retirer de la loi les termes “activités propres” [et “propres activités]” ».
« Tout ce qui permet aux gens de travailler ensemble est une bonne chose », déclare Cindy Ball, vice-présidente du développement chez Indspire, un organisme de bienfaisance dirigé par des Autochtones qui “investit dans l’éducation des Autochtones”. »
Mme Ball souligne qu’il n’est pas facile de comprendre la culture et la souveraineté des peuples autochtones, ajoutant que quiconque travaille avec des organisations autochtones doit prendre le temps de les comprendre, et qu’en éliminant la dynamique de pouvoir, la relation se transformera en partenariat. « Si on met fin à ces règles archaïques auxquelles sont soumis les organismes de bienfaisance, alors il y aura plus de possibilités de travailler en collaboration », dit-elle.
« Les modifications réglementaires à elles seules ne suffiront pas à changer les comportements au sein des organismes de bienfaisance et des fondations », soutient Mme Locilento. « Cependant, grâce à cette réforme et à un plus grand engagement en faveur de l’équité, les fonds philanthropiques pourraient servir à soutenir des causes et des communautés qui n’ont pas eu accès à un tel soutien dans le passé. C’est cela la grande victoire selon moi. »
Quoiqu’il en soit, le projet de loi S‑222 a encore un chemin périlleux à parcourir avant de devenir une loi, d’autant plus qu’il est présenté au Sénat.
« Un projet de loi déposé au Sénat suit le même parcours qu’un projet de loi déposé à la Chambre des communes, mais en sens inverse », a expliqué le directeur des affaires parlementaires du bureau de la sénatrice Omidvar. « Il y aura une première et une deuxième lectures, puis un examen en comité, et enfin une troisième lecture. Si le projet de loi est adopté en troisième lecture par le Sénat, il sera soumis à la Chambre des communes, où le processus sera identique. »
« Nous espérons que le projet de loi sera soumis à l’examen en comité au cours des prochains mois. Mais rien n’est garanti, car le Parlement ne fonctionne pas comme d’habitude et nous ne savons pas quand les élections seront déclenchées », conclut-il.