Raisons pour lesquelles les crédits d’impôt ne suffiront pas pour nous sauver

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Nous sommes en plein cœur d’une pandémie mondiale qui transformera complètement notre monde. Il y a eu des coûts humains tragiques jusqu’ici : si la COVID‑19 a emporté un de vos amis ou de vos proches, veuillez accepter nos plus sincères condoléances. L’impact social et économique de cette crise sera lourd. Même si les gouvernements réagissent et interviennent comme jamais auparavant, certaines personnes ou certains groupes passeront inévitablement entre les mailles du filet. Les inégalités et les injustices que nous tolérons depuis si longtemps seront exacerbées avant de commencer à s’atténuer… si jamais elles s’atténuent.

En tant que collecteurs de fonds, nous sommes dans le domaine de l’entraide et de la bienfaisance. Nous cherchons à changer les choses en associant les donateurs à des causes qui leur tiennent à cœur. La générosité des Canadiens et des Canadiennes pendant cette pandémie nous fait chaud au cœur : ceux et celles qui peuvent aider demandent comment ils peuvent se rendre utiles. Ces personnes sont également animées du désir d’aider les gens dans le besoin. Les premières données font état d’une hausse des dons (article en anglais), mais impossible de savoir si cette tendance se maintiendra au cours des mois à venir, alors que nous nous adapterons à notre « nouvelle vie normale ».

Les organismes de bienfaisance ont commencé à sentir les effets de la COVID‑19 dès le début de la pandémie – des événements et campagnes devant avoir lieu au printemps ont été annulés et du personnel a déjà été mis à pied (article en anglais), dont des professionnels en philanthropie et en collecte de fonds et des collègues membres de l’AFP.

Le gouvernement a agi rapidement et de manière décisive en introduisant des mesures d’urgence, notamment une subvention salariale de 75 % à laquelle les organismes de bienfaisance et sans but lucratif sont admissibles. En outre, après l’annonce en mars de subventions totalisant 174 millions de dollars à des organisations caritatives précises venant en aide aux populations vulnérables, le gouvernement a annoncé le 21 avril qu’il versait 350 millions de dollars additionnels dans un nouveau fonds d’urgence pour l’appui communautaire qui financera des organismes comme Centraide et la Croix-Rouge ou de petits organismes indépendants. Mais le gouvernement doit en faire plus (article en anglais) pour répondre aux défis uniques du secteur afin de soutenir la reprise des activités : les quelque 86 000 organismes de bienfaisance du Canada sont essentiels à notre société et s’ils ne reçoivent pas de soutien supplémentaire du gouvernement, nombre d’entre eux risquent d’être victimes de la COVID‑19.

Le soutien du gouvernement pourrait prendre plusieurs formes, dont une aide financière directe aux organismes de bienfaisance, des incitations fiscales pour les dons et des changements de politique ou de réglementation qui pourraient changer l’environnement de la collecte de fonds à long terme.

Lorsqu’on songe au meilleur plan d’action à adopter, il est important de se rappeler que les recettes provenant des dons assortis de reçus à des fins fiscales ne représentent qu’une des nombreuses sources du revenu total d’un organisme de bienfaisance. S’y ajoutent le revenu gagné, les revenus d’investissement, le financement public, les subventions des fondations et les dons non assortis de reçus.

Il convient de souligner que le Canada est déjà le pays dans le monde qui propose les incitations fiscales les plus généreuses (article en anglais) pour les dons de bienfaisance. Or, malgré cela, les dons assortis de reçus à des fins fiscales versés par des particuliers au Canada sont demeurés relativement stables au cours des 30 dernières années. En fait, la proportion de déclarants qui réclament des dons diminue de manière constante depuis 1990; la croissance du total des dons s’explique uniquement par le fait que les donateurs donnent davantage. Pendant ce temps, les plateformes de dons comme GoFundMe gagnent en popularité (article en anglais), malgré le fait qu’elles ne produisent pas de reçus à des fins fiscales.

Enfin, lorsqu’on sonde les donateurs, la majorité d’entre eux mentionnent que l’allègement fiscal est l’une des raisons les moins importantes (article en anglais) pour laquelle ils font des dons de bienfaisance.

En résumé, rien ne permet de penser que des crédits d’impôt supplémentaires inciteront les Canadiens à donner davantage, et certainement pas assez pour combler le déficit engendré par la pandémie de COVID‑19. Autrement dit, les crédits d’impôt ne suffiront pas pour nous sauver.

En outre, la mise en œuvre de cette mesure relativement simple risque d’envoyer au gouvernement un message voulant que son travail est fait en ce qui concerne le secteur de la bienfaisance. Or, ce n’est vraiment pas le cas.

Imagine Canada dirige une coalition de 150 organismes du secteur de la bienfaisance, dont fait partie AFP Canada, pour faire pression sur le gouvernement en faveur d’un programme de subventions pour favoriser la résilience du secteur. Sur la base de besoins estimés à 10 milliards de dollars (article en anglais) et en tenant compte des 2,7 milliards de dollars provenant des diverses mesures déjà annoncées, notamment la subvention salariale, c’est donc un montant supplémentaire de 7,2 milliards de dollars qui est demandé. Vous pouvez en apprendre plus sur cette proposition ici (en anglais) et ajouter votre voix aux efforts déployés en contactant votre député(e) ici.

En 2017, dernière année pour laquelle Statistique Canada possède des données, la valeur totale des dons faits par les déclarants canadiens s’est établie à 9,6 milliards de dollars. Il est tout simplement impossible que les donateurs, dont bon nombre ont vu leur revenu diminuer en raison de la crise de COVID‑19, puissent combler un déficit de 7,2 milliards de dollars.

Que pouvons-nous faire alors?

En tant que collecteurs de fonds, nous savons que l’établissement de relations consiste à privilégier les gains à long terme plutôt que les gains faciles. Nous savons qu’il est important d’investir dans la collecte de fonds même – et surtout – lorsque les rentrées d’argent se font rares. Les organismes de bienfaisance sont conscients que leur message ne peut pas être au premier plan en ce moment, mais chaque organisme change la vie des personnes qui bénéficient des services qu’il offre. Les investissements que nous faisons aujourd’hui dans la collecte de fonds – qu’il s’agisse de solliciter activement un soutien philanthropique ou de simplement entretenir nos relations de longue date – finiront par porter leurs fruits et nous permettront de servir nos bénéficiaires, qu’ils soient étudiants, patients ou amateurs de théâtre.

Mais quelque chose empêche notre secteur d’effectuer ces investissements indispensables, d’améliorer nos compétences, nos outils et notre technologie pour pouvoir mener des collectes de fonds efficaces : les rapports de coûts. Les organismes de bienfaisance ont longtemps lutté contre l’idée reçue voulant que les rapports de coûts doivent être un indicateur de l’efficacité de la mission et de l’utilisation des investissements des donateurs. En raison de la pandémie de COVID‑19 et d’une baisse des recettes escomptées, les organismes de bienfaisance seront désormais exposés à des pressions financières plus fortes pour réduire encore davantage leur budget déjà maigre et, compte tenu de la diminution probable des recettes de collecte de fonds, ils seront contraints de se défendre contre un discours d’inefficacité et de manque d’efficience.

Il est temps de stopper cette spirale vers le bas : le principe « moins, c’est plus » ne s’applique pas quand il s’agit de la capacité d’un organisme de bienfaisance à surmonter une tempête comme celle créée par la pandémie de COVID‑19. La réduction des investissements dans la collecte de fonds (et du personnel chargé de la collecte) pour compenser le manque à gagner perpétue la mentalité de rareté et rend presque impossible le maintien de relations chèrement établies avec les donateurs et les bailleurs de fonds qui seront essentielles à la viabilité à long terme. S’il y a un aspect positif qui découle de la pandémie de COVID‑19, ce sera un changement dans cet état d’esprit et dans les politiques qui le perpétuent. C’est là-dessus qu’il faut concentrer nos efforts, car les crédits d’impôt ne suffiront pas pour nous sauver.

 

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